Accueil EuroReference
Langue: Francais
Langue: Anglais
Accueil EuroReference
www.anses.fr
Intérêt des essais inter-laboratoires dans l'optimisation des compétences d'un réseau hétérogène de laboratoires


J-D Cavallo (1), F. Thibault (2), B. Gassilloud (3), R. Courcol (4)

(1) Ecole du Val-de-Grâce, Paris, France
(2) Institut de recherche biomédicale des armées, La Tronche, France
(3) Anses, Laboratoire d'hydrologie de Nancy, Nancy, France
(4) Institut de Microbiologie, Centre de Biologie-Pathologie, Lille, France


J-D Cavallo, F. Thibault, B. Gassilloud, R. Courcol (2012).
Intérêt des essais inter-laboratoires dans l'optimisation des compétences d'un réseau hétérogène de laboratoires, EuroReference, No. 7, ER07-12RX02.
http://www.ansespro.fr/euroreference/numero7/PN4001.htm




Un réseau national des laboratoires Biotox-Piratox a été créé en 2003 en France sous l'égide du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale dans l'objectif de détecter, identifier et confirmer la présence d'agents du risque biologique ou chimique dans un contexte accidentel ou d'utilisation terroriste.

Ce réseau est organisé en 3 niveaux : (i) des centres sentinelles répartis sur l'ensemble du territoire, chargés de prélever et transporter les échantillons suspects ; (ii) des laboratoires de deuxième niveau identifiés au niveau de chacune des 7 zones administratives nationales de Défense et de sécurité, chargés de la détection et de l'identification à partir d'échantillons humains, animaux ou environnementaux et (iii) des laboratoires spécialisés par domaine (dont les centres nationaux de référence sous l'égide de l'Institut de Veille Sanitaire) chargés de confirmer les résultats positifs identifiés au deuxième niveau et de maintenir un niveau élevé d'expertise sur les agents du risque terroriste biologique et chimique au niveau national. Ce réseau de laboratoires est en fait très hétérogène et comprend aussi bien des laboratoires publics appartenant à plusieurs ministères (Santé, Défense, Agriculture, Intérieur, Recherche) que des laboratoires privés spécialisés dans les analyses environnementales. Un conseil scientifique est chargé de coordonner le réseau des laboratoires Biotox-Piratox, d'organiser des exercices et d'identifier et promouvoir les développements technologiques susceptibles d'améliorer la capacité diagnostique au sein du réseau. Depuis 2007, quatre exercices ont été organisés dans le domaine biologique et un exercice dans le domaine chimique pour évaluer différents points critiques dans le circuit et le traitement des échantillons, essentiellement au niveau des laboratoires de deuxième niveau : transport et réception, traçabilité, techniques mises en œuvre, interprétation des résultats et réactivité.

Ces exercices ont mobilisé à chaque fois plus de 20 laboratoires du réseau, en particulier ceux dotés de laboratoires de sécurité biologique de niveau 3 (LSB3) et ont mis en œuvre des échantillons vivants ou inactivés très variés (tableau 1). La présence d'un LSB3 permet de manipuler dans des conditions de sécurité satisfaisantes des agents infectieux de classe 3. Le premier essai inter-laboratoires sur échantillons biologiques effectué en 2007 visait à évaluer les délais de transport des échantillons, les délais de détection et d'identification ainsi que la pertinence des résultats et de l'interprétation des analyses en fonction des méthodes utilisées. La capacité d'identifier une résistance à un antibiotique très utilisé en prophylaxie et traitement du charbon était également recherchée à l'aide d'une bactérie très proche de
Bacillus anthracis. Le deuxième essai inter-laboratoires sur échantillons biologiques, organisé en 2009 en collaboration avec le Robert Koch Institute (Berlin, Allemagne), se plaçait dans la même dynamique, avec une gamme d'échantillons plus variée incluant une bactérie, deux virus et une toxine (tableau 1) et se déroulait dans un contexte inédit de partenariat Européen. Le troisième essai inter-laboratoires biologique, réalisé en 2010 prolongeait les précédents tout en s'intéressant plus spécifiquement au seuil de détection de l'ADN de Yersinia pestis et au circuit de confirmation du diagnostic porté par les laboratoires de deuxième niveau par le centre national de référence de la peste et des autres yersinioses à l'Institut Pasteur de Paris. Le quatrième essai inter-laboratoires biologique, mené à la fin de l'année 2011, faisait appel à des échantillons plus complexes que les exercices précédents (clonage de plasmide, mélange de souches) qui devaient être traités en LSB-3 afin d'évaluer la limite des capacités techniques de chaque laboratoire et la pertinence de l'interprétation rendues aux autorités gestionnaires de crise.
Un seul essai inter-laboratoires sur échantillons chimiques a été mené en 2010, avec un échantillon contenant deux concentrations de toxine botulique A et un échantillon contenant deux concentrations de Diazinon, produit de la famille des organo-phosphorés (tableau 1).

Les leçons tirées de ces essais inter-laboratoires ont été très riches. En matière d'organisation, les conditions de participation et d'autorisation des laboratoires dans le cadre de ces exercices ont été adaptées à la législation Française sur les micro-organismes et toxines avec l'aide de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). La réglementation des micro-organismes et toxines inscrits sur la liste fixée par l'Arrêté du 30 juin 2010 en application de l'article L5139-1 de la Santé publique (Loi adoptée en 2004, décret d'application paru en juin 2010) impose une autorisation donnée par l'Afssaps aux responsables des laboratoires participants. Le transport des échantillons a été confié à des transporteurs privés agréés pour tous les exercices, sauf pour l'exercice biologique de 2009 qui a fait appel à la gendarmerie nationale. Les circuits utilisés par les transporteurs privés sont parfois susceptibles de poser problème en situation de crise réelle, avec des délais plus importants et le passage par des « hubs » parfois situés à l'étranger, évènement paradoxal lors d'exercices nationaux. Le recours à la gendarmerie ou à la police nationale est la solution à privilégier en contexte de crise.

L'équipement et les compétences des laboratoires sont très hétérogènes, souvent tournés vers des matrices spécialisées (eau, aliments) pour les laboratoires départementaux et vers les échantillons d'origine humaine pour les laboratoires hospitaliers. Parmi les laboratoires départementaux du réseau, certains n'ont pas de LSB3, ce qui les empêche de participer à certains exercices biologiques pour lesquels des conditions de sécurité sont requises et pose la question de leur capacité à traiter un échantillon de nature inconnue susceptible de contenir un agent de classe de risque biologique 3, voire 4. Cette hétérogénéité des équipements et des plateaux techniques est transposée dans les méthodes et techniques de diagnostic utilisées. Les exercices sont une occasion privilégiée de comparer et d'évaluer les techniques moléculaires d'extraction des acides nucléiques, d'amplification génique, ou les techniques immunologiques ou spectrométriques mises en œuvre à partir de différentes matrices. Ces comparaisons, menées à l'occasion d'exercices, mettent en évidence une grande hétérogénéité des résultats liée à la performance des diverses techniques utilisées ou à leur interprétation. Elles donnent des indications précieuses sur les performances des différentes méthodes utilisées, identifient les limites des méthodes commercialisées et permettent à chacun des laboratoires de s'auto-évaluer. Les méthodes moléculaires ou spectrométriques, plus standardisées, s'avèrent en général plus performantes que les autres méthodes. La réalisation d'un antibiogramme doit compléter toute identification d'une souche bactérienne afin d'aider les autorités et supporter la pertinence des stratégies thérapeutiques et prophylactiques mises en œuvre. La généralisation de cette pratique nécessite la mise en œuvre d'une sensibilisation spécifique portant essentiellement sur les laboratoires départementaux. Les meilleurs résultats obtenus dans les essais inter-laboratoires sont de façon générale obtenus par les laboratoires dont l'activité s'inscrit dans le cadre d'un réseau spécifique fortement structuré (laboratoires de centres hospitaliers universitaires, laboratoires du Service de santé des armées, laboratoires des eaux), et ceux qui utilisent des matériels, des techniques et des procédures standardisées, appuyées sur une démarche qualité incluant un volet métrologique. Le transfert et l'adaptation de technologies robustes et validées par les centres nationaux de référence appuyées sur une formation spécifique au sein de l'ensemble des laboratoires du réseau des laboratoires Biotox-Piratox s'affirme comme un axe prioritaire pour les années à venir, mais peut dans certains cas nécessiter des investissements en équipements et matériels difficiles à obtenir de la part des tutelles dans un contexte économique contraint. Au-delà des aspects techniques, la rédaction de l'interprétation des résultats obtenus est une étape cruciale, qui doit permettre de transmettre de façon précise, compréhensible et documentée, des informations utilisables directement par les gestionnaires de crise. Cette étape a parfois été identifiée comme un point faible pour certains laboratoires et nécessite également un référentiel commun.

Ces essais inter-laboratoires permettent de mieux appréhender les moyens humains et techniques réellement disponibles, en particulier au niveau des nombreux laboratoires non hospitaliers, afin de mieux définir le périmètre du niveau et la stratégie à suivre. Dans un souci d'harmonisation des pratiques au sein d'un réseau constitué de laboratoires et de participants d'origines très diverses, ces essais inter-laboratoires ont également permis, grâce aux retours d'expérience, régulièrement exploités lors des ateliers du séminaire annuel du réseau, d'engager la rédaction de guides méthodologiques et de recommandations adaptés à l'ensemble des laboratoires du réseau. L'ensemble de ces outils va permettre à terme de consolider un réseau resserré de laboratoires particulièrement opérationnels sur ces risques biologiques et chimiques.

Réseaux
Intérêt des essais inter-laboratoires dans l'optimisation des compétences d'un réseau hétérogène de laboratoires
Télécharger/imprimer l'article (PDF)
Tableau 1. Typologie des cinq exercices réalisés par le réseau des laboratoires Biotox-Piratox de 2007 à 2011